Co-auteure d’un rapport sur la logistique urbaine, Anne-Marie Idrac se félicite que le gouvernement se soit emparé du sujet. L’ancienne ministre évoque les nombreuses problématiques et les enjeux de ce dossier explosif.
Transport Info : « Occupez-vous de la logistique urbaine », semble être votre message principal adressé aux élus et aux pouvoirs publics ?
Anne-Marie Idrac : Tout à fait, car la logistique urbaine est un sujet complexe qui fait appel à des compétences en matière d’urbanisme, de commerce, d’environnement et de voirie. Les marchandises ne se téléportent pas et les entrepôts ne sont pas hors-sol. Ce qui ressort du rapport que nous avons rendu au gouvernement, Anne-Marie Jean, Jean-Jacques Bolzan et moi-même, après six mois de travail, c’est que le sujet reste consensuel.
Tout le monde se rend compte que la logistique urbaine est indispensable, pas seulement pour la partie émergée de l’iceberg que sont les colis, mais également pour l’approvisionnement des entreprises, des commerces, des chantiers, des services publics, sans parler de l’économie circulaire. La vitalité de la ville passe par les marchandises. Il s’agit de concilier ces enjeux avec les impératifs environnementaux en prenant en considération tous les acteurs concernés.
TI : Êtes-vous satisfaite des mesures retenues par le gouvernement ?
A-M I : Oui. Sur la logistique urbaine, il en a choisi cinq. D’abord renforcer l’accompagnement des collectivités locales. Ces dernières sont concernées sur trois points : le maillage des entrepôts, la circulation, et le stationnement. Le GART, la structure des élus gérant les transports de personnes, va se mobiliser sur les marchandises à travers ces trois dimensions.
La priorité actuelle est d’accompagner les collectivités dans la mise en place des ZFE. Par ailleurs, nous allons mobiliser encore davantage le programme CEE InTerLUD qui incite à des partenariats public/privé pour une logistique urbaine durable, avec des expérimentations locales. Un événement national est d’ailleurs programmé fin novembre.
TI : D’autres mesures doivent répondre à un manque d’information des collectivités sur la circulation…
A-M I : C’est assez incroyable, il existe de nombreux endroits où même les règles de circulation ne sont pas faciles d’accès pour les commerçants et les transporteurs.
Plus largement, les administrations vont mettre en place un observatoire national des logistiques urbaines et travailler sur la collecte les données, d’abord publiques. Le gouvernement va aussi installer des conférences logistiques territoriales, en commençant en Ile-de-France.
TI : À quoi serviront concrètement ces conférences ?
A-M I : Déjà, à se parler et à s’organiser. Elles seront co-animées par les collectivités et les préfets de région et associeront les acteurs privés. Elles s’inscrivent dans le cadre de la loi Climat et résilience.
Et puis enfin, il y a des évolutions législatives à préparer pour pouvoir dépénaliser le stationnement de livraison ou introduire de façon plus précise la logistique dans les plans de mobilité.
TI : En matière de logistique, les ZFE sont pour vous un sujet potentiellement explosif, pourquoi ?
A-M I : Une ZFE est l’occasion de réfléchir globalement à l’endroit où nous plaçons les entrepôts pour favoriser la massification, à la mise à disposition de prises électriques et l’approvisionnement en gaz, à l’organisation dans l’espace et dans le temps des circulations et des stationnements et aux véhicules qu’on accepte.
Ce dernier point est sans doute le plus délicat en fonction notamment de la disponibilité des matériels et des énergies à faibles émissions. L’État s’est engagé à éclairer les collectivités sur ce qui est réalisable, en tirant parti des travaux de la task force sur la transition énergétique du TRM.
TI : Plus largement, quel bilan faites-vous de France logistique créée pour améliorer la performance de la chaîne logistique ?
A-M I : Je retiens deux choses, actées par les ministres au CILOG du 21 octobre : d’abord, la logistique est désormais reconnue comme un sujet d’intérêt général, relié aux grandes problématiques actuelles comme la transition énergétique, la réindustrialisation ou l’aménagement du territoire.
À ce titre, on peut citer la mise à disposition par l’État des 49 sites identifiés “territoires de logistique” ; la meilleure coordination des Douanes et des autres administrations concernées pour faciliter les passages portuaires. Je souligne aussi le lancement d’un appel à projets dédié “Logistique 4.0”, doté de 90 M€, dans lequel on retrouvera des innovations concernant les transports et les entrepôts et tous les systèmes de digitalisation et de verdissement de la chaîne.
Le deuxième constat réside dans l’efficacité de la méthode public-privé dont le meilleur exemple est la charte pour une implantation écologique des entrepôts, par laquelle promoteurs et exploitants prennent des engagements, tandis que, réciproquement, les administrations facilitent l’implantation sur les friches.
Il faut mettre le paquet sur le réseau de recharges électriques
Anne Marie Idrac
TI : Comprenez-vous le désarroi des transporteurs dans le domaine de la transition énergétique ?
A-M I : Les choix ne sont pas simples, en effet. C’est pour cela que les fédérations du TRM sont globalement satisfaites du travail de la task force réunissant transporteurs, énergéticiens, constructeurs et administration.
Ils souhaitent comme moi que ces travaux se poursuivent et prennent encore mieux en compte les évolutions européennes, qui seront déterminantes. Les conclusions provisoires démontrent que sur les petits volumes, l’offre de véhicules électriques commence à être disponible et que les prix devraient peu à peu diminuer : il faut donc stimuler le marché par des incitations, et mettre le paquet sur les prises de recharge.
Mais pour les camions, sur la longue distance, il est difficile à ce stade de retenir des solutions réalistes qui montent en puissance sous ses différentes formes. Il y a encore beaucoup de combats d’experts concernant les alternatives au diesel. Mon sentiment est que l’on va devoir composer avec plusieurs énergies encore pas mal de temps.
TI : Comment s’articule le travail de France Logistique avec les organisations patronales ?
A-M I : Elles sont membres fondateurs de France Logistique. Notre rôle est de porter des sujets d’intérêt commun dans le débat public avec nos entreprises adhérentes, ni plus ni moins… Avec Constance Maréchal-Dereu, notre directrice générale, nous les accompagnons pour construire des solutions public-privé avec les administrations, le gouvernement et le Parlement.
Notre conseil d’administration nous demande de donner une image toujours plus positive de nos métiers. Par exemple, nous venons de lancer une initiative sur la RSE, une autre sur l’innovation. Nous préparons un document pour les échéances présidentielles et législatives. Il y aura un tronc commun de communication sur le transport et la logistique que nous soutiendrons au nom de tout le monde.
Pour lire l’article sur Transport Info : https://www.transportinfo.fr/anne-marie-idrac-presidente-de-france-logistique-%E2%80%AFla-vitalite-de-la-ville-passe-par-les-marchandises/