Ludovic Vaillant, chef du groupe de recherche Esprim (perturbation et résilience des systèmes de mobilité) au Cerema, compte la logistique des circuits courts alimentaires parmi ses sujets de travail. Le chercheur a notamment participé à l’élaboration de l’application Logicout, pour calculer le prix des livraisons sur ce type de parcours.
Quels ont été vos sujets d’étude sur cette question de la logistique des circuits courts ?
En tant que chercheur sur les interrelations qu’entretiennent les activités logistiques avec les territoires, j’ai investi le sujet de la logistique des circuits courts assez naturellement. Avec des chercheurs de l’université Gustave Eiffel (anciennement Ifsttar) nous avons commencé à travailler dessus dès 2015. On observe une demande croissante de consommation de produits locaux en circuits courts alors que, dans le même temps, on a peu de connaissances sur les pratiques des producteurs. Nous avons donc bâti un projet de recherche pour défricher cette question des enjeux logistiques liés à la vente en circuits courts, car finalement, on demande au producteur d’être aux champs mais aussi à la ville en livrant ses produits, et cela crée des tensions. Cela consomme du temps de s’occuper de la logistique, de prendre et préparer des commandes, charger le camion pour livrer, gérer les facturations… Nous avons donc souhaité leur proposer une calculette pour les aider à prendre du recul sur leurs pratiques logistiques avec Logicout [né dans le cadre du projet de recherche OLICO-Seine (acronyme pour Organisations Logistiques Intelligentes des Circuits cOurts en vallée de Seine)].
Comment fonctionne cette application Logicout, dont l’utilisation est libre et gratuite ?
Il s’agit d’une calculette conçue par des chercheurs en logistique (Cerema et Université G. Eiffel) en partenariat étroit avec des acteurs de terrain : la Chambre régionale d’agriculture de Normandie, l’association Bio Normandie, La Ruche Qui Dit Oui, et l’Agence d’écologie urbaine de la commune de Paris. Logicout a pour but de calculer le coût des livraisons en circuits courts. L’application permet de réaliser des calculs de manière automatique en prenant en compte les temps passés aux différentes tâches logistiques et les coûts d’exploitation de différents véhicules. Elle donne aussi les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques. Logicout est utilisé prioritairement par des producteurs, mais aussi par des conseillers en chambre d’agriculture qui les accompagnent. Depuis sa mise en service, son utilisation ne se dément pas, et nous observons un rythme régulier quotidien d’utilisation. Cet outil permet de quantifier le temps passé et les euros dépensés sur des organisations de livraison existantes (une tournée par exemple). Cependant, pour penser une nouvelle organisation, il faut une prestation pour recueillir toutes les données et réfléchir à trouver d’autres solutions alternatives. Le Cerema, dans le cadre de ses missions d’accompagnement des territoires lié à la transition écologique, a d’autre part souhaité valoriser Logicout et proposer l’offre de service « Organiser une logistique durable dans le développement de vos circuits courts ». Nous n’avons pas encore eu de sollicitations, mais cela pourrait changer, notamment avec les nouvelles contraintes réglementaires liées aux ZFE (zones à faibles émissions). En Ile-de-France, comme dans d’autres agglomérations, les professionnels grossistes sont particulièrement inquiets sur le sujet et je pense que les producteurs agricoles vont être confrontés au même souci : leur véhicule ne pourra bientôt plus rentrer sur l’A86 et dans Paris…
Le mouvement vers les circuits courts a d’autre part connu une nouvelle ampleur avec la crise sanitaire…
Oui, c’est ce que nous avons pu noter, d’autant que la loi EGalim (2018) donnait déjà des objectifs de croissance ambitieux. Le problème, c’est que, dans ce cadre, la logistique est souvent un facteur limitant. Durant la crise sanitaire, certains producteurs ont eu moins de commandes, d’autres beaucoup plus, et ils n’ont pas forcément pu faire face à toute cette demande, notamment pour une question de temps consacré à la livraison. Un vrai travail est donc à mener pour trouver des organisations logistiques plus performantes qui soulagent le producteur, dont le premier métier demeure quand même de produire, tout en conservant une forme de proximité avec le consommateur. On voit émerger ici et là des solutions, avec des prestataires de transports spécialisés dans cette logistique fine et des pratiques innovantes de mutualisation des flux entre producteurs. Cette dernière piste apparaît de prime abord très efficace en matière de réduction des coûts financiers et environnementaux puisque ces pratiques permettent de diviser les coûts d’exploitation des véhicules par deux voire quatre. Mais cette mutualisation n’est pas envisageable pour tous : certains produits ne sont pas combinables dans un même camion à cause des règles de température ou de cohabitation à respecter. D’autre part, les flux ne vont pas forcément tous au même endroit. Dans le cas d’une mutualisation entre producteurs, il existe également tout un travail de construction de la confiance. C’est bien mieux s’ils connaissent les produits des uns et des autres et sont capables d’en parler pour les autres. On a pu voir des cas où cela n’était pas forcément respecté et où la mutualisation n’a pas pu être pérennisée… L’enjeu consiste enfin à opérer une régulation interne dans le comité de producteurs pour que ce ne soit pas toujours le même qui fasse la livraison, ou alors qu’il y trouve des compensations.
Vous pouvez également accompagner les collectivités locales sur ces questionnements ?
En effet. Souvent, les collectivités proposent d’emblée des entrepôts mutualisés pour répondre à cette problématique de la logistique des circuits courts. De par notre expérience, nous le déconseillons au premier abord car ce qui fonctionne, c’est plutôt de réaliser en amont un travail de réflexion sur la connaissance des flux, les pratiques des producteurs et les possibles mutualisations, que ce soit en lieu de stockage, en véhicule, en contenants… On commence par là pour ensuite passer à des investissements plus ambitieux, mais la première étape est de partir du concret et des pratiques. Cet accompagnement des collectivités pour les circuits courts est intégré aussi dans le programme InTerLUD dont l’objectif est d’accompagner les territoires et les entreprises à la mise en place de solutions logistiques urbaines plus durables.
Quels sont les principaux enjeux pour parvenir à une logistique efficiente des circuits courts ?
Il s’agit tout d’abord que les producteurs se connaissent entre eux, créent un collectif pour trouver les solutions logistiques les plus performantes. Ensuite, il faut développer des solutions de transport et de logistique spécifiques, car le marché n’est aujourd’hui pas fait pour ces micro-flux, et c’est clair qu’il existe un besoin pour ces solutions. Certains, comme la bourse de fret La Charrette, ont bien saisi cet enjeu, mais encore trop peu de professionnels vont sur ce champ-là : il s’agit d’une logistique de dentelle qui est coûteuse. Il faut aussi prendre en compte l’aspect réglementaire sur la question de la mutualisation : le fait de transporter des produits pour quelqu’un d’autre est très bien encadré par les textes de loi lorsqu’on est professionnel du transport, mais en tant que producteur agricole, il existe une espèce d’angle mort de la réglementation. Il y a là aussi une évolution à mener pour favoriser et faciliter ces pratiques.
Pour lire cet article sur le site de VoxLog : https://www.voxlog.fr/actualite/5805/un-producteur-doit-etre-aux-champs-mais-aussi-a-la-ville-en-livrant-ses-produits